Il y a des journées qui vous réconcilient avec la vie, avec les autres, avec l’activisme, avec ces valeurs que vous pensiez être surannées et dont vous vous demandez certains jours est-ce que j’ai raison, est-ce que j’ai tort. Mais ce mercredi est une évidence : nous avons eu raison d’être là, raison de la vivre ensemble.
Cette journée était sous le label de l’égalité, de la fraternité et ces notions était bien là avec nous tous. Nous avions commencé avec la peur au ventre «Et s’il n’y avait personne, si nous n’étions pas assez nombreux et si la police nous bloquait, s’il pleut et si et si…».
Et finalement oui il a fait beau, non il n’a pas plu, oui nous étions nombreux. Oui la fraternité était bien au rendez-vous elle était palpable dans les accolades, dans les petits saluts sur les poings, les coudes, les pieds, qui remplacent nos embrassades habituelles, dans les regards.
Cette place Cadelade en a vu défiler des manifestations, des manifestants pour toutes les causes syndicales, les lois, les grèves ! Mais dans mon souvenir c’est la première fois qu’on se réunissait pour soutenir une personne, un gamin tout noir avec des grands yeux. Un gamin venu d’ailleurs, un «estranger» comme on dit, pas du village d’à côté, pas du département d’à côté, mais d’un lointain pays que l’on imagine à peine, le Mali, dont on ne parle que lorsqu’il y a déjà des morts, des guerres, des sécheresses, des coups d’état. Et ce gamin là, Madama, a réussi ce miracle de faire déplacer des centaines de personnes. Nous étions entre 700 et 800 personnes réunis là autour de lui, avec lui. L’Intersyndicale unanime, des partis politiques, des O.N.G., des associations, des jeunes, des vieux. Bien sûr il n’y avait pas de mot d’ordre de grève, mais nous savons que beaucoup de gens travaillant sont également solidaires et auraient aimés être présents, puisque la pétition rassemble déjà 35000 signatures.
Finalement cette journée fraternelle, nous la devons au Préfet. Monsieur le préfet vous avez réussi ce miracle de nous réunir, de faire signer l’appel qui rassemble le plus d’organisations et d’associations de l’histoire du Puy. Je vous remercie Monsieur le préfet de votre acharnement à vouloir que nous prouvions que Madama a mérité de rester parmi nous. Je vous remercie Monsieur le préfet d’avoir accusé Éric et Véronique (je cite) de «propos ignobles » parce que cela nous a permis d’entendre des textes magnifiques, des textes qui resteront dans notre mémoire. Cela a permis à Aboubacar, ce garçon timide de 17 ou 18 ans arrivé comme Madama par des chemins longs et assassins jusqu’à nous, survivant de la Méditerranée, oui cela a permis à Aboubacar de prendre la parole et de nous dire ces phrases magnifiques qu’il n’avait pas préparées et qu’il a improvisées, où il nous rappelle que ses grands-parents se sont battus pour la France, l’un pendant la guerre de 14-18, l’autre pendant la guerre de 39-45, guerres dont il ne savait rien, pas même où elles s’étaient déroulées avant d’intégrer l’école républicaine où nous l’avons inscrit à son arrivée au Puy. Grâce à ses enseignants il a enfin compris l’histoire de sa famille, il a enfin compris cette histoire de la guerre que l’on racontait chez lui. Et surtout il a fini son discours en nous disant qu’il avait retenu la leçon de la Révolution de 1789 et la leçon de la devise de la France «Liberté Egalité Fraternité». Votre acharnement, Monsieur le préfet, à ne pas vouloir régulariser Madama a provoqué cette belle journée, ce petit miracle.