Charlie : petite histoire de la liberté

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Depuis 2 jours je tourne en rond, j’oscille entre tristesse infinie, rage et désespoir. Face à mon écran, j’essaye de trouver les mots, le mot qui définirait le mieux ce que je ressens.

Alors, je surfe, je zape, je clique. Je cherche les âmes sœurs, les textes, les photos. Je cherche dans mes archives des photos, des images que je pourrais associer à ce texte que je n’arrive pas à écrire.

Finalement, je décide juste de raconter ma petite histoire de la presse, telle que je l’ai vécu.

Je voudrais rappeler que la liberté de la presse s’est gagnée par une lutte âpre, en ces temps lointains où la censure veillait et où l’on risquait la prison pour avoir pensé, écrit trop librement, dans les années 60-70. Je voudrais raconter comment au lendemain de la guerre d’Algérie, les Porteurs de valises, les combattants français et algériens, sortant de la clandestinité ou de prison, ceux qui constituaient ce qu’on appelait la Fédération de France du FLN se réunissaient interminablement, inlassablement, jours après jours, soirs après soirs pour s’interroger sur la suite, sur l’après guerre. Pour les Algériens, ils avaient une Algérie nouvelle à construire. Ils disaient «Il faut faire de la culture, il faut éduquer le peuple. c’est par la culture que le peuple se libérera». Les Français disaient «il faut imposer les syndicats, retourner dans nos usines, nos entreprises. C’est le syndicat qui nous libérera».

Un jour, Simon, ouvrier métallo, responsable des réseaux de Porteurs de valises dit «C’est Mohammed qui a raison. C’est par la culture que le peuple se libérera. Il faut qu’on fasse des journaux, des livres.» Et c’est comme ça que la première imprimerie, sorte de coopérative ouvrière improvisée est née, et que les journaux se sont multipliés. Politiques, féministes, érotiques, artistiques, homosexuels, antimilitaristes… D’un coup tout le monde avait quelque chose à dire, à écrire, à revendiquer. Il en venait de partout : du Moyen-Orient, d’Afrique, d’Asie. Les Africains en pleine décolonisation, venaient jusqu’à Paris pour faire imprimer là leurs livres interdits. Palestiniens, Iraniens, Irakiens se croisaient là. Des typographes russes traduisaient instantanément les textes.

Ce n’était pas sans heurt. Les journaux ou les livres qui sortaient de cette imprimerie se faisaient interdire, saisir, la police campait en permanence devant les locaux, les domiciles. On savait les téléphones surveillés. Il y avait de temps en temps des courses poursuites pour semer les flics qui tentaient de surprendre une réunion. Certains se souviendront peut-être de la saisie de La Cause du Peuple, de l’arrestation de l’imprimeur, Simon, et de certains Godard, Gavras, Sartre se constituants prisonniers pour sa libération. Les titres se multipliaient, vivaient quelque temps puis disparaissaient en oubliant les factures impayées, provoquant la faillite de l’imprimerie qui fermait un moment et rouvrait ailleurs. Les «copains» revenaient avec une nouvelle formule de presse, une nouvelle cause à défendre, une nouvelle idée fulgurante. Et le cercle infernal reprenait : journaux-livres-police-faillite… L’Humanité-Rouge, Tumulte, Actuel, Politique Hebdo, Afrique-Asie, Rouge, Le Gay-Pied, Gazoline, Révolution, L’insoumis, Union Pacifiste, editions Des Femmes, L’impatient, Histoire, La Cause du Peuple, Antirouille… De ces années-là, il reste peu de titres, dont Libération, Charlie…

Mais il reste surtout cette extraordinaire liberté d’écrire, de penser, de créer.

…Et ainsi, d’année en année, de journaux en journaux, de descente de police en faillites…

Quelques années plus tard Simon lançait un énième journal dans lequel Cavanna et Cabu ont collaboré et où j’avais la responsabilité d’une rubrique. Et ainsi j’ai eu l’occasion de travailler, de boire, de rigoler, avec eux.

Ces copains algériens qui ont été les révélateurs, l’un est rentré en Algérie et a fondé le Théâtre Populaire d’Alger, il a été assassiné dans les années 80, le Théâtre fermé par les islamistes. L’autre, Mohammed… C’était Mohammed Boudiaf, assassiné en 92 alors qu’il était revenu en Algérie à la tête du gouvernement provisoire.

Aujourd’hui, j’ai la sensation que l’histoire s’est enrayée.

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