Loi immigration : un projet qui fait mal à la République

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Le projet de loi immigration a pour intitulé exact «Projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration». Pourtant l’esprit général est plutôt de freiner l’intégration en multipliant les obstacles et les limitations à l’obtention des titres de séjour de longue durée, et ainsi d’augmenter la précarité. Alors que le texte a été rejeté par l’Assemblée nationale, nous restons dans l’attente de la prochaine décision du gouvernement : passage en force ou rejet ?

Le sentiment global est que l’on part du principe que les étrangers sont des délinquants, des fraudeurs, et mettent en danger la République. Et ainsi sur ce principe de base, le texte multiplie les sanctions, en se réclamant de « l’ordre public», créant ainsi un droit des étrangers basé sur un principe punitif et non plus comme annoncé sur un principe d’intégration. Ces questions de délinquance et de troubles à l’ordre public sont des préjugés qui ne reposent sur aucune étude sérieuse. Ils sont d’emblée discriminatoires. L’esprit de la loi en est fortement imprégnée. Ce texte réduit drastiquement les droits des étrangers et est de plus en plus éloigné du droit des citoyens et met à mal le principe d’égalité, pourtant inscrit dans le marbre de notre constitution.

Le texte renforce le pouvoir des Préfets à décider du sort des personnes, alors que jusqu’à présent aucune loi n’a encore validé la circulaire qui donnait «pouvoir discrétionnaire» aux Préfets. Là encore le principe d’égalité est bafoué puisque d’un département à l’autre, d’un préfet à l’autre l’évaluation est différente et ne repose que sur une vision subjective et arbitraire, le tout filtré par les agents de préfecture qui pourront refuser un titre de séjour à un individu qui pourtant remplirait les autres critères requis (durée de vie en France, preuve de diplômes, durée de travail, mariage ou PACS, etc.). La situation personnelle du demandeur étranger est étudiée au regard des liens personnels et familiaux que l’individu possède en France, afin de prouver son intégration dans la vie française. On a pu voir pendant ces dernières années l’effet désastreux de cette politique poussant à la multiplication des acte judiciaires, des démarches administratives, qui engorgent les tribunaux et les administrations. Le moindre recours prenant plusieurs mois, voire des années. Pendant ce temps, les personnes ou les familles sont bloquées dans leur parcours et tributaires des aides sociales ou des associations, et mobilisent du personnel sur des questions qui tournent en rond. Si l’on arrivait à chiffrer réellement le coût de cette politique il semble probable que les chiffres exploseraient. Alors que les gens ne demandent qu’à travailler. Mais la encore la question du travail est tributaire de la notion de «métiers en tension», notion subjective elle aussi, variant d’une saison à l’autre, d’un département à l’autre, et basé sur des critères d’économie à court terme. Cette notion échappe totalement à la notion d’intégration parce qu’il faudrait pour répondre au critère de tension que la personne suive l’évolution de l’économie et s’adapte mois après mois à la saisonnalité et au rythme de l’économie et des métiers.

D’ores et déjà on peut affirmer que cette vision de l’avenir est ingérable, alors que les démarches de régularisation prennent des mois, voire des années, encore ralentie par la dématérialisation qui complexifie les démarches.

C’est ce que que les associations appellent la fabrique à clandestins. Aujourd’hui on estime à près de 400 000 les travailleurs non déclarés. On peut prévoir la multiplication rapide de ce chiffre avec un tel texte.

La réalité du monde le laisse prévoir. En 1991, il y avait 3 millions de personnes en déplacement. En 2000, on arrivait à 20 millions. Aujourd’hui on estime à 60 000 000 les personnes déplacées : réfugiés fuyants les conflits ou les désastres climatiques, mineurs aspirant à une nouvelle vie, travailleurs pauvres rêvant d’une vie meilleure, aventuriers souhaitant découvrir le monde, ou même diplômés en quête de nouvelles expériences. De France, une moyenne de 2 000 000 de personnes sont chaque année en déplacement vers un autre pays.

Chaque pays européen utilise de plus en plus de main d’œuvre immigrée pour pallier les manques internes. Parce que l’on ne trouve plus de main d’œuvre pour certains secteurs, parce que les salaires ne suivent pas et que les «natifs» aspirent à des métiers mieux valorisés. La France, la Roumanie, par exemple ont besoin chaque année en moyenne de 80 000 à 90 000 travailleurs étrangers. Le monde tourne dans le sens d’une migration globales des populations, d’un mixage généralisé, la mondialisation des marchandises et de l’économie se retrouvant dans les mouvements de populations.

Ne pas réfléchir l’avenir en tenant compte de ces réalités c’est aller vers un désastre annoncé. Nos gouvernants, nos «décideurs» semblent loin de la réalité que vit chaque jour la population.

La Défenseure des Droits, Claire Hédon, a rédigé un long rapport en février en préalable à la rédaction du texte du Sénat (Lire ICI) où elle revient sur l’esprit dans lequel le texte à été travaillé et où elle analyse les tenants et les aboutissants. En novembre, alors qu’elle était auditionnée par les rapporteurs de la commission de l’Assemblée nationale, elle revient sur son rapport dans un long discours qui détricote le projet de loi. En préalable elle émet 2 réserves, la 1ere concerne la suspicion qui pèse sur les étrangers : «En engageant la procédure accélérée dans un contexte particulier, le Gouvernement n’a pas permis au Parlement de travailler sereinement sur un texte qui affecte pourtant profondément les droits fondamentaux.

Les modifications apportées par le Sénat, à partir de craintes ou de préjugés et de données chiffrées dont la robustesse n’est pas établie, sont imprégnées d’une suspicion à l’égard des étrangers, assimilés au mieux à des profiteurs, au pire à des fraudeurs, voire des délinquants.

Cette défiance vis-à-vis des étrangers, le crédit donné à de nombreuses idées reçues les concernant, et l’adhésion à une approche dont l’efficacité n’a jamais été démontrée – à savoir qu’il serait possible de dissuader une immigration non désirée en s’attaquant à ce qui constituerait l’attractivité de la France pour les personnes concernées – conduisent à traiter avec beaucoup de légèreté les données factuelles.»

La seconde réserve porte sur la démarche générale : «Aujourd’hui, le texte issu des débats est profondément déséquilibré et particulièrement défavorable aux droits des étrangers. Ce déséquilibre me paraît préjudiciable à l’intérêt général et à la cohésion sociale. […] Remettre en cause aussi profondément leurs droits menace la cohésion sociale dans son ensemble et une certaine idée de l’accueil et de l’intégration dans notre République.» (Pour lire l’ensemble du discours).

Le texte n’oublie pas les mineurs en autorisant les placements en CRA ou LRA, ou zone d’attente, dès 16 ans, et prévoit la création d’un fichier visant spécifiquement les mineurs non accompagnés suspectés d’avoir participé, en tant qu’auteurs ou complices, à la commission d’infractions. «En effet, l’objet comme le champ d’application de ce fichier sont extrêmement imprécis et l’inscription dans ce fichier pourrait concerner de nombreux MNA, indépendamment de la gravité de l’infraction considérée ou même de l’implication directe du mineur dans l’infraction. […] l’atteinte au respect de la vie privée et à l’intérêt supérieur de l’enfant qui résultera de la mise en place de ce fichier m’apparaît majeure et largement disproportionnée. En outre, le dispositif revêt un caractère discriminatoire puisqu’il ne vise que les MNA, sans que soient précisées les raisons d’intérêt général venant justifier cette rupture d’égalité.»

Bref, à la lecture du projet, l’inquiétude grandi quant à l’avenir politique de notre pays. Les élus sauront-ils raison garder et prendre la bonne décision : rejeter définitivement un projet qui va cliver la société, renforcer les extrêmes, et faire monter les tensions, les divisions, les suspicions. Le «tous suspects» n’est pas viable et incompatible avec la sérénité et la paix sociale.

=> Le texte du projet présenté à l’Assemblée nationale

Un film court à voir :

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