Les mondes de Philip K. Dick

La science-fiction a longtemps été considérée comme un genre mineur et cette réputation s’étendait forcément à ses auteurs. Philip K. Dick (1928-1982), en fit les frais. Considéré comme d’importance secondaire, il a passé la majorité de sa carrière dans une quasi-pauvreté. Il est aujourd’hui vénéré comme un visionnaire et son œuvre d’anticipation semble pour beaucoup contenir les clés de compréhension de notre monde.

« Il n’écrivait pas des romans basés sur l’horreur, mais plutôt sur la sinistre sensation que toutes nos certitudes sont bâties sur du sable », résume l’auteur de SF David Brin, l’un des intervenants de ce documentaire que nous vous proposons.

Il vit sa vie « comme une succession de crises sans fin », explique son thérapeute, qui ne pose sur son cas « aucun diagnostic, parce qu’il souffrait un peu de tout, à la fois dépressif, très créatif », agoraphobe, paranoïaque, sujet aux hallucinations… Se soignant aux amphétamines, ses fictions, ses angoisses et ses phobies, apparaissent comme des prophéties et nous renvoies aux nôtres comme une version paroxystique.

Aujourd’hui son œuvre de Philip K. Dick a rejoint le Panthéon des plus grands auteurs où il se retrouve à côté de Kafka, Orwell et Asimov…

Trente ans après sa disparition, l’écrivain a enfin sa place et est reconnu comme le plus visionnaire. Héro de la contre-culture, il fait partie de ces auteurs dont le nom est devenu un adjectif : «dickien», tel ce sentiment fait de doutes et d’angoisses sur la nature du réel, le sens de l’existence, la place de l’humanité. Il sortait quasiment pas de chez lui et pratiquement jamais de la banlieue californienne, mais son esprit voyageait à travers un nombre incalculable d’univers : mondes virtuels, sociétés totalitaires, technologies asservissantes ou désastres écologiques… Il  a anticipé les angoisses et les errements de nos sociétés contemporaines.

Le documentaire «Les Mondes de Philipp K. Dick» nous invite dans l’imaginaire du maître de la science-fiction.

« L’initiale au milieu de mon nom renvoie à Kindred, le nom de jeune fille de ma mère. Kafka serait plus approprié… », notait Philip K. Dick, dans une lettre datée de 1975. Il ne mentionnait jamais Kafka directement, mais on sait par ceux qui l’ont côtoyé qu’il en était un grand lecteur, qu’il en connaissait des pages par cœur.  Art Spiegelman, auteur de Maus, a résumé par cette formule nette et précise : « Ce qu’a été Franz Kafka pour la première moitié du XXe siècle, Philip K. Dick l’a été pour la seconde. » Un prophète, un visionnaire, un esprit extralucide… En tout cas un créateur dont l’imagination, les névroses, les obsessions nous font entrevoir les limites de l’humain.

Le documentaire de Yann Coquart et Ariel Kyrou ne nie rien des désordres mentaux effectifs de l’écrivain (hallucinations, agoraphobie, crises de paranoïa, effets variés des amphétamines et autres substances illicites…), mais nous invite dans son imaginaire.

D’Ubik au Maître du Haut Château,en passant par Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? c’est un total de quarante romans et environ une centaine de nouvelles qui reflètent directement l’époque de son écriture, les décennies 1950-1970. C’est l’époque de la guerre froide, où l’on sort à peine de la plus grande déflagration de tous les temps : la IIe guerre mondiale, qui s’est terminé par le choc nucléaire (Hiroshima). C’est l’époque du développement galopant des technologies et notamment les technologies liées au nucléaire.

Il mélange réalité et illusion, nous présente la société comme un simulacre, un décor factice doté d’un double fond opaque, inaccessible et terrifiant. « Nous vivons dans une réalité virtuelle », affirme froidement Dick dans les images d’archives collectées par Yann Coquart et Ariel Kyrou. C’est là que réside sa singularité, l’essence de son génie… qui le mettait dans un état de frayeur permanent.

On ne peut parler de Dick sans évoquer la mort, à un mois, de sa sœur jumelle, Jane. Dans le récit biographique qu’il lui a consacré, Je suis vivant et vous êtes morts (2) , Emmanuel Carrère le définit comme un esprit « ésotérique », c’est-à-dire habité par la croyance en « L’existence d’un secret caché derrière le visible » : « Aussi loin qu’il remontât, il avait toujours, de tout son être, repoussé l’idée que ce qui lui arrivait pouvait être le fruit du hasard, d’une danse d’électrons privés de chorégraphe, de combinaisons aléatoires. Pour lui, tout devait avoir un sens et il avait vécu, scruté sa propre vie en fonction de ce postulat. Or de l’idée d’une signification cachée derrière tout ce qui advient, on glisse fatalement à celle d’une intention. Lorsqu’on cherche à voir sa vie comme un dessin, on ne tarde pas à y voir aussi l’exécution d’un dessein et à se demander qui l’a ourdi. Cette intuition que nous éprouvons tous, plus ou moins honteusement, donne sa pleine mesure dans deux systèmes de pensée : le premier est la foi religieuse, le second la paranoïa. » 

Blade Runner

Il est mort en 1982, à la veille de la sortie sur les écrans de Blade Runner,l’adaptation cinématographique par Ridley Scott des Androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?, film qui le fera définitivement connaître du grand public. Blade Runner où hommes et androïdes se côtoient, s’aimantent et se repoussent, où la définition de l’espèce humaine semble se dissoudre.

Les mondes de Philip K. Dick, film de Yann Coquart et Ariel Kyrou.

Jeudi 6 juin, à partir de 19h30, L’Assemblée de Saint-Vincent

 

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