Déjà interviewé récemment sur le traitement politico-médiatique des drogues, nous avons interrogé Laurent Mucchielli, sociologue et spécialiste des politiques de sécurité, à propos de l’actualité politique en France en lien avec son livre La France telle qu’elle est. Pour en finir avec la complainte nationaliste. Comme l’a fait Saïd Bouamama dans son Manuel sur l’immigration, il utilise les sciences sociales pour répondre aux idées racistes trop souvent diffusées dans de nombreux médias.
Tout d’abord, à propos d’un « buzz » récent, le parti La France Insoumise serait antisémite. Est-ce votre avis ? Vous rappelez dans votre livre les racines chrétiennes de l’antisémitisme. Pouvez-vous expliquer d’où vient cet antisémitisme ? Et fait-il un retour actuellement ?
Depuis les travaux pionniers de Léon Poliakov, les historiens ont amplement documenté l’histoire de l’antisémitisme européen, qui procède effectivement d’abord de l’église catholique. Après une très longue histoire faite de temps de persécution et de temps de réconciliation, cet antisémitisme religieux a fait un retour fracassant au 19ème siècle, dans le contexte de la réaction contre les idées révolutionnaires laïques et républicaines. De là le lien qui sera fait rapidement entre « juifs » et « francs-maçons » dans ce qui deviendra plus tard la pensée d’extrême droite. Ensuite, un antisémitisme politique est apparu au 19ème siècle dans le sillage de la critique du capitalisme, c’est celui qui assimilait « les Juifs » aux banquiers et aux oppresseurs de la classe ouvrière. Enfin, est apparu un racisme intellectuel et scientifique qui, dans le contexte du colonialisme de l’époque, a prétendu théoriser « l’infériorité » de certaines « races » par rapport à d’autres. Tout ceci culmine entre la fin du 19ème siècle et la Seconde Guerre mondiale. Cette période horrible appartient à l’histoire. Pourtant, cela fait maintenant une vingtaine années que quelques intellectuels et quelques politiciens font du lobbying pour faire croire à un « retour de l’antisémitisme » qui serait dû à l’extrême gauche. Or ce sont là deux idées fausses.
Pouvez-vous préciser?
D’abord, il n’y a pas de « retour de l’antisémitisme » Ceci relève d’un fantasme apeuré ou d’une désinformation volontaire à finalité politique. Il existe des données pour mesurer tant bien que mal le problème : des données institutionnelles (comme les statistiques de police et de justice), des données d’enquêtes nationales et internationales et des données de sondages d’opinion. La Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH) compile et compare cette dizaine d’indicateurs chaque année dans ses rapports, ce qui permet ainsi de réfléchir à l’évolution depuis plus de 30 ans. Il en ressort deux constats majeurs : 1) la stabilité globale des problèmes depuis le début du 21ème siècle, voire même leur léger recul (et non l’inverse), 2) des variations mensuelles et annuelles importantes qui dépendent avant tout du contexte international de tensions autour du conflit israélo-palestinien (pour simplifier, il y a un pic d’actes antisémites à chaque fois que le gouvernement israélien lance une attaque sur les territoires palestiniens). Plus récemment, il y a eu également des attentats suscités par Daech, qui ont pris parfois un caractère antisémite. Mais ce n’est pas central : pour Daech, il s’agit avant tout de « punir l’Occident » et tous ces « mécréants » qui discriminent les Musulmans. Tout ceci indique qu’il n’est pas sérieux de penser le 21ème siècle avec les catégories forgées au 19ème. L’antisémitisme en tant que préjugé majeur et violent, qu’il soit à fondement biologique, culturel ou religieux, est quelque chose qui a quasiment disparu en France, et le peu qui en reste se situe politiquement à l’extrême droite, et non à l’extrême gauche. Parler d’antisémitisme dès que l’on voit se durcir la critique de la politique de l’État d’Israël vis-à-vis des Palestiniens est une manipulation grossière. Chacun peut l’observer ces derniers mois : quiconque s’indigne un peu trop fort des crimes de guerre en série commis par l’armée israélienne sous les ordres du gouvernement Netanyahou se voit suspecté d’antisémitisme. Cette supercherie ne devrait tromper personne.
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