Le temps de la délation est-il revenu ?

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Choqués, atterrés, bouleversés, scandalisés, les employés de l’Asea du Puy-en-Velay, ne manquent pas de qualificatifs lorsqu’ils évoquent cette sombre histoire. Une liste des familles d’exilés et réfugiés déboutées du droit d’asile a été transmise à la Préfecture du Puy-en-Velay à la demande de celle-ci. Cette liste comporte les noms, les adresses et la composition des familles. Cela concernerait, 17 familles dont 32 enfants mineurs.

La transmission de cette liste fait peser une menace d’expulsion pour ses familles. Certaines sont là depuis des années, se battant pour obtenir une régularisation, passant de recours en recours. Elles attendent et espèrent toujours un dénouement à cette situation invivable. Certaines depuis 10 à 12 ans. Certains enfants ont grandi ici, sont devenus majeurs, ont obtenu la nationalité française, ont obtenu des diplômes en France, mais les parents n’ont toujours pas été régularisés. Ét tant qu’un espoir subsiste, qu’un recours est encore envisageable, ils s’obstinent. Ils sont logés par l’Asea dans une structure appelée Tremplin auquel on accède par le 115.
La Préfecture avait demandé cette liste auprès de l’OPAC – qui met à disposition de Tremplin des appartements– qui avait refusé de la divulguer, puis auprès de l’Asea, dont le Directeur Général a transmis la demande au directeur de la structure qui lui-même a transmis au directeur de Tremplin, et finalement cette liste a bien été donnée à la Préfecture, chacun se cachant derrière la voie hiérarchique. Aucune obligation, aucune injonction n’était faite. Il s’agissait d’une diffusion volontaire de « données à caractère personnel ». Le Directeur Général justifie cela en disant qu’il le faisait avec un «objectif de régularisation». Lorsqu’on lui demande « Maintenant que vous avez transmis cette liste, que comptez-vous faire pour la régularisation de ces familles? », il avoue « Je ne ferai rien ce n’est pas de mon ressort ».

L’ASEA 43 se divise en 4 pôles dont le PPI ou Pôle Précarité Insertion, avec le centre d’hébergement Tremplin. Son public est de toutes les couleurs, de tous les pays et de toutes les situations.
« Nous ne sommes pas là pour trahir les gens. Nous ne sommes pas là pour faire de la politique. L’Histoire nous a bien montré que vendre ainsi ce genre d’informations était à la fois dangereux et éthiquement immonde ».
D’après des salariés, une réunion dont le prétexte était la rénovation des bâtiments de Tremplin, qui réunissaient des responsables de la structure et la Préfecture, en décembre 2022, avait déjà été l’occasion de demander cette liste, ce qui avait été décliné par le directeur de Tremplin. Pourquoi 3 mois plus tard le Directeur Général a-t-il cédé à l’insistance de la Préfecture et a-t-il entrainé les responsables des sites ?
L’Asea est partenaire d’un certain nombre d’associations de solidarité et humanitaires qui participent au conseil d’administration, et dépend également du Conseil départemental. Aujourd’hui, toutes les structures siégeant dans les différents conseils de l’Asea sont attentives à ce qu’aucune famille ne soit poursuivi et cherchent des solutions pour reloger tout le monde et limiter les dégâts. Les salariés ont saisi les structures de tutelle, les instances syndicales, et demandent des poursuites et la démission des responsables. ils rappellent dans leur communiqué que la Haute-Loire est connu comme une terre d’accueil depuis les guerres de religion, et rappellent que l’Asea a été créé en 1948 au lendemain de la guerre à l’initiative d’Alex Brolles, connu pour avoir aidé des juifs pourchassés. Il rappelle également, l’histoire du plateau du Chambon-sur-Lignon qui a caché pendant des années des centaines, voire des milliers de juifs de tout âge et qui a obtenu le label de Village des justes.

Des collectifs et syndicats signent ensemble un communiqué pour dénoncer les agissements de la Préfecture et de la Direction de l’ASEA 43…

Communiqué du RESF43 (Réseau éducation sans frontière), collectif de soutien aux demandeurs d’asile et personnes migrantes 43.
Signataires : Ligue des droits de l’Homme43, CGT43, FSU43, SUD Education43, Action Catholique Ouvrière43, Comité de Soutien aux opprimés de Brioude, ATTAC en Velay, association La Sosta, LICRA-AURA (Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme Auvergne-Rhône-Alpes), Emmaüs43, Gauche EcoSocialiste43, EELV43,Génération.s 43, Révolution Ecologique pour le Vivant-région AURA

Nous venons d’apprendre qu’une liste nominative de personnes et de familles débouté-e-s du droit d’asile, comportant leurs adresses, a été envoyée par le Directeur général de l’ASEA (Association de Sauvegarde de l’Enfant à l’Adulte) à la Préfecture de Haute-Loire le 1er mars, ainsi qu’à la DDETSPP, Direction Départementale de l’Emploi, du Travail et de la solidarité et de la Protection des Populations. Il faisait ainsi une réponse zélée à une demande de la préfecture.
Nous sommes à la fois choqués et horrifiés par un tel acte.
Rappelons que l’ASEA est une association dont la mission est : « Accueillir toute personne et famille qui éprouve des difficultés à trouver sa place dans la société et construire avec elle des solutions de logement et un accompagnement social et sanitaire adapté, afin qu’elle préserve sa dignité et accède à une citoyenneté. Pour tout public majeur seul ou avec des enfants : personnes sans domicile et / ou sans logement, personnes victimes de violences conjugales, personnes en difficulté de précarité. ».
L’art 345-1 du Code de l’Action Sociale et des Familles, précise : «Les personnels des CHRS (Centre d’hébergement et de réinsertion sociale) sont tenus au secret professionnel dans les conditions prévues aux articles 226-13 et 226-14 du code pénal. La loi définit les contours du partage d’informations en le limitant aux personnels du CHRS».
Si la demande d’une telle liste émane des services de l’État, son exécution semble bien être l’œuvre du directeur de l’ASEA.

Celui-ci se joue totalement des valeurs mises en avant par l’association qu’il dirige. Par ailleurs il ne fait pas mystère de ses sympathies politiques qui nous apparaissent incompatibles avec les fonctions qu’il exerce. Dès lors, des familles exilées, qui croyaient trouver refuge chez nous après avoir fui les guerres, la misère, les effets du réchauffement climatique, qui ont survécu à des parcours périlleux emportant parfois en mer familles et amis, sont discriminées, dénoncées.
Rappelons, devoir de mémoire oblige, qu’Alex Brolles et « Les Petits Bergers des Cévennes », à l’origine de l’ASEA, ont été honorés il y a peu par le Maire du Puy et la Préfecture pour avoir donné refuge à des juifs persécutés par le régime de Vichy.
Ces familles se retrouvent à nouveau dans des situations tragiques, d’urgence et d’insécurité. Elles qui souffrent depuis des années de l’interdiction de travailler, – plus de 10 ou 12 ans pour certaines !– et ne peuvent donc avoir la satisfaction de subvenir dignement à leurs besoins, sont déjà dans un état de désespérance extrême. Nous pouvons imaginer la détresse dans laquelle ce courrier les a plongées.
Heureusement, le personnel, les directeurs de pôles et les travailleurs sociaux, restent, eux, fidèles aux valeurs fondatrices de cette institution : la fraternité, la solidarité, l’entraide, la protection, l’accueil des familles déboutées du droit d’asile ainsi que l’urgence de leur hébergement, sont les piliers de leur métier.
Nous, associations, organisations, syndicats, serons particulièrement vigilants à l’aboutissement des régularisations des personnes concernées.
Nous soutenons les personnels de l’ASEA, les acteurs du secteur médico-social et social, de l’aide humanitaire, de la Fonction Publique, qui refusent de céder à ces pratiques de délation. Nous apportons tout notre soutien à tous les personnels de cette association, placés dans une situation qui les engage à se battre pour des valeurs indispensables à leur travail au quotidien : accueil inconditionnel, respect du secret professionnel, respect des données personnelles, égalité de traitement, qui sont autant de garanties de la dignité des personnes.
Nous demandons le départ du Directeur Général.

Nous affirmons notre fidélité aux valeurs de la République : la fraternité et la solidarité. Nous voulons également informer les autorités de l’Éducation Nationale, elles aussi concernées, puisque trois postes d’enseignants sont détachés auprès de l’ASEA.
Pour nous, signataires, il est important et nécessaire que les autorités se positionnent afin de prévenir toute nouvelle tentative discriminante. Nous demandons des sanctions et le départ des auteurs de cet acte (dont le Directeur Général), afin que l’ASEA redevienne à nouveau l’association garante de la «Sauvegarde des enfants et adultes».

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