, David Ben Gourion, proclame l’indépendance de l’État d’Israël dont il devient le premier Premier Ministre.
1960. 12 ans après la déclaration d’indépendance, Chris Marker se rend en Israël pour y tourner son 4e film. Il interprète, non sans humour et poésie, les «signes» disparates d’antan et d’aujourd’hui : le désert conquis, la sombre aventure de l’Exodus, les Juifs orthodoxes du Ghetto, le Mur des Lamentations, les kibboutz, le Sabbath, l’enfance d’Israël et de ses enfants – déjà enrégimentés mais insouciants et nourris d’espoir–.
C’est d’abord un film de commande de Lia et Wim Van Leer, qui sont à ce moment les futurs fondateurs de la cinémathèque de Jerusalem. A l’occasion du 12e anniversaire de la fondation d’Israël, ils propose à Chris Marker, déjà connu comme un cinéaste d’avant-garde de venir en Israël et de faire un film sur le tout jeune état et sur l’utopie que représente Israël. Pendant 3 mois il sillonne le pays, à la fois émerveillé et inquiet au sujet de l’avenir et voit les signes inquiétants sur lesquels il s’interroge. A cette époque Chris Marker voyage beaucoup, à la recherche d’une vision du monde et on le dit à la recherche d’une utopie. Il va en Chine(1956) où il tourne Dimanche à Pékin, puis plus tard, il se rend à Cuba (1962) où il réalise Cuba si. Il est très critique vis à vis du mode de vie occidental, vis à vis du capitalisme, vis à vis de la société de consommation. Il voit en Israël une forme de rencontre entre l’occident et l’orient et est très attiré par cette nouvelle société. Mais il voit arriver la société de consommation. Il sent la marginalisation des minorités, notamment arabes et voit arriver les signes des différences de classes sociales.
C’est un regard à la fois fasciné et lucide, par moment désenchanté. ce film n’a pratiquement pas été montré en Europe. Il a été montré en Israël sous une autre version, avec un autre commentaire, mais à partir de 1967, il retire le film de la circulation. C’est l’époque où Chris Marker se radicalise politiquement et Israël ne représente plus cet état innocent, et avec l’occupation des territoires, Israël incarne un ennemis politique, un état oppresseur et l’on pense que c’est l’une des raisons de l’interdiction du film par Chris Marker lui-même. Il ne s’en est jamais expliqué, mais du point de vue esthétique, le film n’a pas vieilli, et on y retrouve les préoccupations de l’auteur du point de vue de la construction, un commentaire brillant qui fait de ce film un essai littéraire, porté et enrichi par la voix de Jean Vilar. Rien ne peut justifier le retrait de ce film, sinon des raisons politiques. Pourtant il ne s’agit ni d’un pamphlet ni d’un film de propagande pro-israélien ou pro-sioniste. C’est un film à la fois jubilatoire par rapport à l’utopie que représente Israël à ce moment mais aussi extrêmement inquiet quant à l’avenir, et par bien des égards un film prophétique. Le film se termine par l’image d’une jeune fille de 12 ans dessinant. C’est l’âge de l’état d’Israël. Il s’interroge à la fin du film sur le devenir de cette jeune fille.
50 ans plus tard, un autre réalisateur, Dan Geva, réalise en 2006 un autre film où il part à la recherche de cette fille. Le réalisateur la retrouve, elle ne vit plus en Israel. L’auteur clôt ce second film en disant «Elle a quitté Israel ou c’est Israel qui l’a quitté».
Chris Marker approuve le travail de Dan Geva et demande que les 2 films soient diffusés ensemble.
Le titre israélien de la premier version est La troisième face de la monnaie. La nouvelle version remonté avec un nouveau commentaire s’intitule Description d’un combat, titre empreinté à Frantz Kafka.
Quand le combat d’un pays – Israël – avec lui-même résonne avec le combat du film avec lui-même : celui de l’image et du son, comme toujours chez le cinéaste.
“Description d’un combat”, tourné en 1960 en Israël, appartient à la première période de l’œuvre filmée de Chris Marker, celle où deux genres s’entrelaçaient étroitement à chaque coup, l’essai (filmique) et le journal (de voyage). Description d’un combat est sans doute, en 1960, un film “sur” ce tout jeune pays millénariste, sur ses habitants et ses problèmes.
Le titre, pris à une nouvelle de jeunesse de Franz Kafka décrivant un duel incertain où se brouillent le combat intérieur et l’extérieur, annonce son contenu, l’analyse documentaire des contradictions d’un territoire, à son tour (ou tour à tour) extérieur et intérieur, d’après les signes qu’il émet. Mais le “combat” du titre est aussi, comme dans chaque film du cinéaste toutes périodes confondues, celui que se livrent la bande-son et l’image.
Un parfait agencement markerien
Car tout se passe ici dans le rapport entre la grande beauté des plans et le forçage que la voix off leur impose – avec humour, en parfaite conscience de ce qu’elle fait. La scène du zoo au début du film, entre les animaux, les écriteaux rappelant les mentions bibliques du bestiaire et l’ordinateur central de la ménagerie, forme un parfait agencement markerien. Où l’homme n’est jamais qu’une voix intermédiaire entre la sagesse animale et l’ordinateur omniscient, entre la nature et la machine, entre l’image et le texte.
Plus tard, la discussion d’un groupe de Palestiniens se voit renvoyée à sa référence exacte dans une pièce de Shakespeare ; une autre, entre des adolescentes israéliennes sortant de l’école, est qualifiée de “jolie conversation d’oiseaux”. Le combat d’un pays avec lui-même et celui du film avec lui-même se fondent en une même énigme. Le commentaire du dernier plan, sur une jeune fille qui peint (celle que Dan Geva retrouve cinquante ans plus tard dans la suite, qui accompagne le film selon le souhait de Marker, Description d’un souvenir), dira que “entre toutes les choses incompréhensibles de ce monde, la plus incompréhensible soit qu’elle est là, en face de nous, comme un oiseau, et comme un chiffre – comme un signe”.