«L’incendie on l’a tous allumé»

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Lundi 9 mars s’est tenu le procès que l’on s’obstine à appeler « le procès de l’incendie de la préfecture » du Puy-en-Velay. On a craint un moment que la reconduction de la grève des avocats ne retarde une fois de plus l’audience, mais non, elle a bien lieu.

Les questions qui sont dans tous les esprits sont : que et qui juge-t-on exactement aujourd’hui ? Et pourquoi ? Quels sont les enjeux ?

Des incendiaires ? Des Gilets Jaunes ? Un mouvement social ? Des individus ayant participés à une manifestation ? La manifestation elle-même ? Les 4 prévenus de ce jour portent toutes ces casquettes à la fois, et ce bien malgré eux.
Le collectif des Gilets Jaunes présent en soutien ce jour nous dit : « Sont-ils jugés pour cette action symbolique, pour avoir participé à la gigantesque manif ou pour l’exemple ? Leur faire porter le chapeau est une hypocrisie sociale, une revanche de l’ordre établi face aux revendications populaires de justice sociale, fiscale, écologique. »
Quoiqu’il en soit, les 4 inculpés ont une lourde charge sur le dos, comme les 3 mineurs qui seront jugés le 4 avril prochain devant le tribunal pour enfants. Pour le collectif de soutien auquel se sont joints les principaux syndicats, il ne fait aucun doute qu’ils sont des boucs émissaires.
Le premier que l’on présente est incarcéré à Lyon Corbas depuis maintenant 15 mois, et il apparait par liaison vidéo. Agé de 22 ans, on comprend qu’il sort du « mitard », qu’il doit y retourner et qu’il a refusé d’être extrait pour être présent au Puy, prétextant d’être souffrant et d’attendre la visite de sa copine. Il demande essentiellement à pouvoir sortir pour aller à l’enterrement de son grand-père. Ses propos sont décousus et confus.
Quant aux accusations qui pèsent sur lui pour aujourd’hui, il ne semble pas s’en inquiéter. Son avocat plaidera de graves troubles psychiatriques, corroboré par une expertise qui parle d’urgence de soins nécessaires. Un témoin nous dira que dès qu’il arrête le traitement médical, il devient violent, incontrôlable.
Il a été interpellé le 10 décembre 2018 à proximité de la prison du Puy où il tentait de rentrer en contact avec un détenu en hurlant sous les murs de la prison et où il aurait insulté le directeur de l’établissement. Il est accusé pour sa présence lors de la manifestation du 1er et du 8 décembre. Il aurait jeté des bouteilles sur les forces de l’ordre et notamment une bouteille qui aurait contenu un mélange d’acide et d’aluminium. De plus son ADN aurait été identifié sur le goulot d’une bouteille de bière retrouvée dans la cours de la Préfecture. Mais comme le fait remarqué Me Soulier, le contenu de la bouteille n’a pas été analysé et «rien ne prouve qu’il s’agit d’acide, cela aurait pu être tout aussi bien de la mayonnaise».
Le 2e prévenu, âgé de 21 ans, ambulancier, a été identifié sur les vidéos et les photos par ses vêtements. Il se revendique comme un militant du mouvement des Gilets Jaunes. Le jeune homme a reconnu avoir ramassé une bouteille en plastique et l’avoir lancé par la fenêtre où s’était propagé l’incendie et où s’écoulait de l’eau. « Je ne sais pas pourquoi j’ai fait ça. Je me suis-je laissé entraîner ». Un autre moment il dit « Je voulais apporter ma pierre à l’édifie [de la lutte] ». On peut remarquer que si l’eau coule dans la pièce incendiée c’est que le feu est déjà éteint.

Le 3e prévenu, âgé de 37 ans, surnommé l’Indien, a déjà été condamné en comparution immédiate, à 9 mois de prison ferme. L’accusation porte sur une « dégradation du bien d’autrui par un moyen dangereux pour les personnes », la peine encourue peut aller jusqu’à 15 ans de prison. Il aurait tenté de jeter une bouteille équipé d’un bout de chiffon qui ferait mèche dans la préfecture, cette même bouteille que le précédent aurait récupéré. Elle aurait contenu de l’essence ou un produit inflammable. Une vidéo lointaine et de très mauvaise qualité le montre lançant une bouteille qui retombe à ses pieds. Là aussi pas d’analyse pour confirmer l’hypothèse d’un cocktail Molotov. Pourtant on ne peut que s’étonner de confectionner un cocktail Molotov avec une bouteille en plastique. Par principe un cocktail doit s’enflammer et exploser, résultat impossible à obtenir avec une bouteille en plastique.
Le 4e protagoniste, 31 ans, père de famille. Il est au Puy seulement depuis l’été 2018 où il traîne, plutôt en rupture sociale. Il est venu en Haute-Loire « se mettre au vert » à cause d’un problème de drogue dans sa ville d’origine, « une dette de stupéfiants » dit-il. Il se serait joint à la manifestation par hasard « J’étais pas là en tant que casseur » plaide-t-il et s’il a jeté des objets dans le feu, c’était « sans réfléchir ». Pour lui également on nous présente quelques photos où l’on semble le reconnaitre, mais rien de probant, et apparemment toutes ces photos datent d’après l’incendie. En tout cas aucune des photos présentées ce jour ne montre quelqu’un en train d’allumer le feu. Pourtant la majorité des photos présentées ont été prises par les caméras de la Préfecture, et si l’on dispose de photos ultérieures on pourrait s’attendre à ce qu’il en existe avant.

Les avocats ont beau insister sur le fait qu’il faut juger des gens et non pas les événements il n’empêche que cela reste un vœux pieux. Les projectiles qu’ils reconnaissent avoir lancer et le moment où ils les auraient lancés n’ont ni déclenché ni aggravé l’incendie. On comprend au fil de l’énoncé des faits que ce qu’on leur reproche s’est passé après le début de l’incendie et ce procès du coup n’apporte aucune réponse à la question «qui a mis le feu et pourquoi ?». Alors il nous vient immanquablement à l’esprit une autre question : pourquoi ce procès ?
Le premier accusé est condamné à 3 ans de prison ferme. Dans son cas on est en droit de se poser la question de la valeur thérapeutique de l’incarcération.  Les 3 autres « prennent » 24 mois dont du sursis mais aussi de la prison ferme : L’Indien est condamné à un an ferme avec confusion de la peine avec ce qu’il a déjà fait (9 mois). Il devra donc purger 3 mois supplémentaires. Les deux autres sont condamnés respectivement à 6 mois et 10 mois de prison ferme. Ils devront également supporter les frais d’indemnisation des parties civiles mais les sommes seront fixées à l’occasion d’une autre audience, le 24 juin.

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