Gilets jaunes : comparutions immédiates

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Seulement 3 personnes comparaissent ce lundi au tribunal du Puy à la suite de la manifestation de samedi 1er décembre.

Dès l’ouverture le procureur nous explique qu’il a été procédé à 12 arrestations mais seules ces 3 personnes ont été retenues en garde à vue. Les 9 autres ont été libérées. « Nous avons fait le choix de n’en présenter que trois en comparution immédiate. La garde à vue des neufs autres a été levée. Ils ont été remis en liberté et les investigations se poursuivent. « Nous ne sommes pas dans la poursuite émotionnelle, nos choix sont pris au vue des éléments à charge. » Quelques personnes se sont rassemblées devant le Tribunal, en solidarité. Un important service d’ordre est mobilisé à l’intérieur et à l’extérieur. Yves Rousset, Préfet de la Haute-Loire, est également présent.

Les faits reprochés : participation à une manifestation interdite, participation à un groupement formé en vue de la préparation d’acte de violences ou de dégradation, violences volontaires sur fonctionnaires de la police nationale et avec arme, dégradations en réunion de biens publics.
Le premier prévenu, âgé d’une quarantaine d’année est animateur dans une maison de retraite. Il a été interpellé alors qu’il était à l’hôpital, blessé aux jambes, des témoins peuvent l’attester. Il est poursuivi pour violences volontaires sur un policier, dégradation de la grille, dégradation en réunion. Il aurait jeté des projectiles et de l’acétone sur des policiers, et il aurait versé de l’huile sur le feu allumé devant les grilles de la préfecture. Son avocate demande le renvoi afin d’avoir le temps d’examiner les accusations et les preuves, et demande une expertise psychiatrique. Le renvoi est accordé mais un mandat de dépôt est ordonné. Il sera jugé le 7 janvier et restera en prison jusqu’à cette date.
Le deuxième prévenu, 19 ans, est un jeune apprenti mécanicien, en alternance. Il est poursuivi pour avoir escaladé la grille de la Préfecture, coups et blessures en réunion sur les policiers chargés de protéger la préfecture, pour avoir jeté des pierres sur les policiers.
Malgré sa déclaration préliminaire, on sent un procureur très impliqué et sur l’émotion dans l’ensemble des réquisitoires. Il a expliqué en début d’audience qu’il était, ce samedi, dans le tribunal et a donc suivit les événements depuis la fenêtre du bâtiment. Il raconte comment il a vu « la police faire rempart de leur personne sinon on serait aujourd’hui sur un autre terrain que la correctionnelle ».
Le Préfet est venu à la barre raconter le déroulement de cet après-midi qu’il qualifie de « pré-insurrectionnel », décrivant comment la cour a été envahit, puis évacuée et comment depuis l’intérieur du bâtiment ils ont vu l’incendie se déclarer et les pompiers empêchés d’accéder.
Des photos prises de la cour sont présentées. On y voit la foule envahir, puis être refoulée, et faire le siège devant l’institution.
Le jeune homme reconnaît le jet de projectiles « mais aucun n’a touché les policiers ». Des photos le montreraient escaladant la grille. Au même moment un policier a été blessé. Il dit : « Quand j’ai vu le policier blessé j’ai été pris de panique et j’ai couru. J’ai levé les bras et je me suis rendu à la police ».
Le Juge : « Le policier a pris un coup pendant qu’il vous demandait de descendre.
Réponse : « J’ai été pris de panique quand j’ai vu le policier blessé. J’ai jeté des tubes en PVC par dessus la grille mais pas sur les policiers. Je n’ai pas blessé le policier. ».
— « Je ne sais pas pourquoi j’ai fait ça. Je ne savais pas que la manifestation était interdite. Je n’ai jeté que des bouts de plastique.
— Pourquoi avez vous fait ça ?
— J’ai été gazé. Je voulais simplement manifester mon mécontentement.
— Qu’est-ce que vous pensez aujourd’hui ?
— Ça a été une erreur de rentrer dans la préfecture mais la violence ne me représente pas. Je n’étais pas moi-même. J’ai été entraîné par l’effet de la foule. C’était ma première garde à vue. Et je regrette.
Le substitut : — La première infraction c’est la participation à une action interdite. Le fait d’escalader : on n’est plus dans une manifestation on est dans le groupement en vue de violences. Ça commence avec le déversement des pneus. Ce qu’on lui reproche c’est le fait de participer. Ses actes participent à la violence. Et ont un effet multiplicateur sur la foule. Monsieur G. n’est pas dans la manifestation du matin, il arrive à 14 h quand les violences ont commencé. Ce sont des violences en réunion et il y contribue par ses actes.
Le policier en face est très clair quand il déclare : “On prend des projectiles, j’en identifie un”. On n’a pas amené devant le tribunal les 12 personnes interpellés mais seulement des cas indubitables. Dans la majorité des cas les gens interpellés ont le même profil. Il y a aussi le symbole de l’état. C’est une préfecture. On peut dire que plus la foule est nombreuse et plus l’âge mental de la foule descend. Compte tenu de la gravité je demande la privation de liberté. 12 mois dont 6 mois fermes ».
Finalement, le tribunal le reconnaît coupable et le condamne à 12 mois dont 3 fermes mais sans mandat de dépôt et en peine aménagée.
Quant au troisième prévenu, longtemps SDF, au RSA, les actes qui lui sont reprochés se sont produits vers 23 h, alors qu’il se rend au centre d’hébergement de Tremplin avec un copain. Il vocifère, hurle dans la rue, envoi des cailloux vers les vitres du centre. Devant le tapage, le veilleur de nuit sort pour calmer le jeune homme mais celui-ci le bouscule et le jette à terre.
Dans ses vociférations, il se réclame des Gilets jaunes et menace de « cramer » Tremplin. Puis il part dans les ruelles alentours où il ne tarde pas à être rattrapé par la police. Il s’explique ainsi :
— J’ai des problèmes d’alcool et je ne me rappelle plus exactement ce que j’ai fait. Ça fait longtemps que je bois. Je ne sais pas pourquoi j’ai fait ça. C’est l’alcool.
Il aurait participé à la manifestation en simple spectateur, tout en absorbant d’importante quantité d’alcool.
Le substitut : — Des 3 c’est celui qui commet les actes les moins graves. Les jets de pierres et ses déclarations de vouloir faire cramer la structure sont des conséquences de la journée. Il dit qu’il ne se souvient pas de la violence envers le veilleur de nuit à Tremplin mais il se souvient être accompagné d’une autre personne. C’est une tentative de dégradation mais la tentative est passible de la même peine.
Eu égard aux antécédents et à la problématique d’alcool. Il y a une réelle propension au passage à l’acte. Je demande 6 mois d’emprisonnement avec 3 mois de sursis.
Son avocate, Me Murielle Laffont fait remarquer : — Venger n’est pas juger. On peut essayer de le rattacher au contexte mais ce que je vois surtout c’est un pauvre type isolé et dans l’errance. Et ce jour là comme on en a marre d’être isolé, on se sent un sentiment d’appartenance alors on y va. Et du coup on essaye de recoller son histoire au contexte. Pour les autres personnes on a parlé de dégradation et donc pour monsieur F. on parle également de dégradation alors qu’avec ces graviers il n’a pas grand chose à voir. La journée a commencé en présentant ces 3 là comme représentatif de la journée : sur les 12 interpellations on a retenu ces 3 là comme pouvant payer pour cette journée. »
Il sera condamné à 6 mois dont 3 avec sursis, pas de mandat de dépôt, obligation de soin et aménagement de la peine.
Cette audience laisse un goût étrange. On ne peut que remarquer le décalage entre cette folle journée de samedi et les trois personnes présentées là. Et qui sont loin de répondre à la définition faite par le substitut qui nous dit : « Dans la majorité des cas les gens interpellés ont le même profil ». Quiconque a vécu cette journée aura du mal à voir dans ces 3 là ni les meneurs ni les casseurs généralement évoqués, et surtout pas des activistes de groupuscules organisés auxquels les autorités aiment faire allusion.
Pourtant ce samedi au Puy, on était loin des activistes habituels de la gauche ou de l’ultra gauche traditionnelle. A première vue, on pouvait avoir l’impression d’un défoulement collectif d’une foule excédée, d’une exaspération générale devant les restrictions et les privations de plus en plus importantes auxquelles les familles sont contraintes, on pouvait y voir des précaires alcoolisés transformés en casseurs, le tout dans un grand mouvement incontrôlable et se contenter de cette vision sans analyse. Mais en y regardant de plus près, les choses étaient bien plus complexes. Et quiconque s’amusant à suivre les mouvements, les comportements, auraient pu « imaginer » ou apercevoir des stratégies d’action plus élaborées, « reconstituer » des groupes effectivement hiérarchisés, se livrant à des destructions de matériel froidement et calmement, entrainant dans leur sillage la foule informe et bigarrée galvanisée par leur audace et l’alcool. Et si les groupuscules organisés évoqués par Madame la ministre Jacqueline Gourault avaient bien transités ce jour-là par Le Puy ? Le tout est de savoir de quelle couleur politique on les affublent, en l’occurrence il semble que ce n’est pas vers le rouge ou le noir qu’il faut chercher une filiation mais vers une autre extrême.

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