Un anniversaire dont personne ne veut se souvenir

Print Friendly, PDF & Email

Pourtant l’histoire a bien eu lieu. C’est arrivé et cela a renversé le monde.

Je veux parler de la Révolution Russe de mars 17. On peut s’attendre à des commémorations pour octobre. Pourtant la révolution a bien commencé en mars (février selon le calendrier grégorien), début de l’insurrection. 

Mais un rappel historique est indispensable. 

La Révolution se passa en 2 mouvements : mars, puis octobre.

En mars 1917 (février pour le calendrier russe), des soulèvements de la populations avec le renversement du Tsar, puis octobre avec la prise du pouvoir par les bolcheviks.

Le mois de février 1917 rassemble tous les ingrédients pour une révolte populaire : hiver rude, pénurie alimentaire, épuisement face à la guerre… Tout commence avec des grèves spontanées, début février, des ouvriers des usines de Petrograd (Saint-Pétersbourg). Le 23 février (8 mars du calendrier moderne), pour la Journée de lutte des femmes, des femmes de Petrograd viennent manifester dans le centre ville pour réclamer du pain et appellent les ouvriers et les soldats à venir les rejoindre. Ce premier jour de la révolution malgré quelques confrontations avec les forces de l’ordre, ne fait aucune victime.

Le lendemain, 150 000 manifestants convergent vers le centre ville. Le 10 mars la grève est générale. Les manifestations se multiplient aux cris de «A bas la guerre. A bas l’autocratie». Les soldats ouvrent le feu contre les manifestants. Bilan : plus de 150 tués.

Les soldats, traumatisés par ce massacre fraternisent avec les manifestants. Le 12, ils se mutinent et distribuent des armes à la foule. En quelques heures les 150 000 hommes de la gardes de Petrograd est passée du côté des insurgés. Personne ne peut plus sortir ou entrer au palais et les lignes téléphoniques sont coupées. Quelques jours plus tard, le Tsar abdique.
Lénine, en exil depuis 1905, n’a pas remis les pieds en Russie depuis plus de 10 ans et il y est pratiquement oublié. il apprend l’éclatement des premiers soulèvements de Petrograd depuis Zurich, en Suisse. Aussitôt, il n’a plus qu’une obsession : rentrer en Russie. Mais l’Europe est en guerre. Avec la complicité des autorités allemandes il entreprend, le 27 mars, un voyage qui durera une semaine en train via la Suède et la Finlande dans le fameux « wagon plombé » duquel il n’a pas le droit de descendre. Lénine commence pendant ce voyage la rédaction de ses « thèses d’avril » dont la radicalité effraiera la majorité bolchévique. Il arrive 3 avril à Petrograd.

La Russie est désormais placée sous l’autorité d’un gouvernement provisoire et du soviet de Petrograd mais la guerre se poursuit et alimente le mécontentement d’une population épuisée par les efforts et les pénuries.

Le 7 avril, la Pravda publie les Thèses d’avril, mais précédées d’une note de Kamenev qui en désapprouve le contenu. Lénine a des difficultés à faire accepter ses thèses qui sont jugées trop extrêmes. Le lendemain, le comité du Parti de la capitale se réunit et vote à une forte majorité contre les propositions de Lénine. Ce dernier prépare dès lors avec soin la Conférence panrusse du Parti, qui doit se réunir dix jours plus tard : il bénéficie alors de la présence de délégués de base, séduits par son esprit de décision. Le fait que l’espoir de paix semble s’éloigner contribue à faire pencher les militants en faveur de Lénine. Celui-ci reçoit également l’appui de Zinoviev et de Boukharine.

Lors du congrès, Lénine présente ses thèses, en réclamant la paix immédiate, le pouvoir aux soviets, les usines aux ouvriers et les terres aux paysans. Lénine réaffirme également son rejet de la démocratie « bourgeoise » et du parlementarisme : il estime que cette forme de démocratie, qui a cours en Occident, concentre en réalité les pouvoirs entre les mains de la classe capitaliste et appelle à lui substituer une démocratie issue directement des soviets ouvriers et paysans.

Alors que la foule manifeste contre la guerre dans la capitale, les résolutions de Lénine obtiennent une forte majorité au congrès à l’exception de celle préconisant une révolution socialiste immédiate. Le mot d’ordre « Tout le pouvoir aux Soviets ! » est officiellement adopté. Dans le courant du mois de mai, Lénine gagne un nouvel allié de poids en la personne de Trotsky, lui aussi revenu en Russie, et qui se rallie à ses idées. Martov, quant à lui, partage les idées de Lénine sur la volonté de paix et plaide en vain contre la participation des mencheviks au Gouvernement provisoire ; il refuse cependant de rallier son ancien ami, qu’il voit désormais comme un cynique dont la seule passion est le pouvoir. Lénine multiplie les apparitions publiques dans la capitale : bien que moins bon orateur que Trotski, et malgré un léger défaut de prononciation, il montre dans ses discours une énergie et une conviction qui contribuent à sa notoriété. Au printemps 1917, il est désormais la personnalité la plus influente au sein d’un Parti dont la presse, grâce en partie à l’argent fourni par l’Allemagne, bénéficie de moyens sans commune mesure avec ceux des autres mouvements. 

Pendant les mois qui suivent, les mouvements se succèdent, les gouvernements provisoires aussi. Puis la réaction redresse la tête.

En juillet, la répression s’abat sur les bolcheviks. Trotsky est emprisonné, Lénine est obligé de fuir et se réfugie en Finlande, le journal bolchevique Rabotchi I Soldat (« Ouvrier et Soldat ») est interdit. Les régiments de mitrailleurs qui ont soutenu la révolution sont dissous, envoyés au front par petits détachements, les ouvriers sont désarmés. 90 000 hommes doivent quitter Petrograd, les « agitateurs » sont emprisonnés. La peine de mort abolie en février est rétablie. Au front, la reprise en main est brutale après la liberté laissée par le prikaze no 1 en février. Ainsi le 8 juillet, le général Kornilov, qui commande le front sud-ouest, donne l’ordre d’ouvrir le feu à la mitrailleuse et l’artillerie sur les soldats qui reculeraient. Du 18 juin au 6 juillet, l’offensive sur ce front fait 58 000 morts, sans succès.

Parallèlement la réaction se manifeste, et le tsarisme relève la tête ; des pogroms se produisent en province. Après les journées de juillet, Kerensky a succédé au prince Georgy Lvov, monarchiste modéré, mais il perd de plus en plus la considération des masses populaires, et paraît incapable de contenir la montée de la réaction.

En octobre 1917, Lénine et Trotsky considèrent que le moment est venu d’en finir avec la situation de double pouvoir. La conjoncture leur est opportune, tant sont grands le discrédit et l’isolement du gouvernement provisoire, déjà réduit à l’impuissance, tout comme l’impatience de leur propre base.

Les débats au sein du comité central du Parti bolchevique afin que celui-ci organise une insurrection armée et prenne le pouvoir sont vifs. Lénine et Trotsky l’emportent et après avoir résisté, le Comité approuve et organise l’insurrection, dont Lénine fixe la date pour la veille de l’ouverture du IIe Congrès des soviets, qui doit se réunir le 25 octobre.

Un Comité militaire révolutionnaire est créé au sein du soviet de Petrograd et dirigé par Trotsky, président de ce dernier. Il est composé d’ouvriers armés, de soldats et de marins. Il s’assure le ralliement ou la neutralité de la garnison de la capitale, et prépare méthodiquement la prise d’assaut des points stratégiques de la ville. La préparation du coup de force se fait presque au vu et au su de tous, les plans livrés par Kamenev et Zinoviev sont même disponibles dans les journaux, et Kerensky lui-même en vient à souhaiter l’affrontement final qui viderait l’abcès.

Le Comité militaire révolutionnaire de Petrograd annonce la déposition du gouvernement provisoire.

L’insurrection est lancée dans la nuit du  au . Les événements se déroulent presque sans effusion de sang. Les gardes rouges conduits par les bolcheviks prennent sans résistance le contrôle des ponts, des gares, de la banque centrale, des centrales postale et téléphonique, avant de lancer un assaut final sur le palais d’Hiver. Les films officiels tournés plus tard montrent ces évènements sous un angle héroïque, bien que dans la réalité les insurgés n’eurent à faire face qu’à une faible résistance. En effet, parmi les troupes cantonnées dans la capitale, seuls quelques bataillons d’élèves officiers (junkers) soutiennent le gouvernement provisoire, l’immense majorité des régiments se prononçant pour le soulèvement ou se déclarant neutres. On ne dénombre que cinq morts et quelques blessés. Pendant l’insurrection, les tramways continuent à circuler, les théâtres à jouer, les magasins à ouvrir. Un des événements décisifs du xxe siècle a lieu sans que grand monde s’en rende compte.

Si une poignée de partisans a pu se rendre maître de la capitale face à un gouvernement provisoire que plus personne ne soutient, le soulèvement doit maintenant être ratifié par les masses. Le lendemain, 25 octobre, Trotsky annonce officiellement la dissolution du gouvernement provisoire lors de l’ouverture du Congrès panrusse des soviets des députés ouvriers et paysans (562 délégués étaient présents, dont 382 bolcheviks et 70 Social-Révolutionnaire de gauche).

Révolution, coup d’État, coup d’État et révolution ?

Dès les premières heures qui suivent le 7 novembre (25 octobre), et jusqu’à nos jours, nombre d’acteurs et de commentateurs ont considéré la « révolution d’Octobre » comme étant en réalité un simple coup d’État d’une minorité résolue et organisée, qui visait à donner « tout le pouvoir aux bolcheviks » et non aux soviets. L’Humanité, principal quotidien socialiste français, titre ainsi le 9 sur le « coup d’État en Russie » qui vient d’amener Lénine et les « maximalistes » au pouvoir.

Share this post

PinIt
submit to reddit

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

scroll to top