Comme des lions

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Comme des lions raconte deux ans d’engagement de salariés de PSA Aulnay, contre la fermeture de leur usine qui, en 2013, emploie encore plus de 3 000 personnes dont près de 400 intérimaires.

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Des immigrés, des enfants d’immigrés, des militants, bref des ouvriers du 93 se sont découverts experts et
décideurs. Ces salariés ont mis à jour les mensonges de la direction, les faux prétextes, les promesses sans garanties, les raisons de la faiblesse de l’état. Bien sur ils n’ont pas « gagné ». Mais peut être faut-il arrêter de tout penser en terme de « gain ». La vie est faite d’expériences, de risques, d’aventure et de erté. Et là, ces deux ans sont une tranche de vie exceptionnelle. Un moment d’intelligence collective, de démocratie et de révélations.

MOT DE LA RÉALISATRICE

« J’habite à quelques kilomètres de l’usine PSA d’Aulnay. Honnête- ment, je ne savais pas même où elle se trouvait. Seul l’immense par- king se voit de l’autoroute qui mène à Roissy. Mais comme l’aéroport de Roissy, cette usine, qui fabrique les C3 de Citroën, est l’un des rares gros employeurs de Seine-Saint-Denis.

Philippe, le secrétaire de la CGT de l’usine, est conseillé municipal de ma ville. Il y vit, comme 400 autres salariés de PSA. Ils sont des milliers en Seine-Saint-Denis. Un monde invisible qui détermine l’ambiance ici. Dans les années 80, les vagues de licenciement chez Peugeot dé- truisent l’équilibre des cités alentours, et la drogue s’installe. En 2005, les émeutes sont les plus fortes autour de l’usine, à un moment où l’Interim a nettement faibli.

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Ici, c’est là où je vis. Pas seulement, là où j’habite, mais là d’où part ma façon d’entendre les événements du monde. Je suis née et j’ai tou- jours vécue en «banlieue rouge. «Être» de ce territoire multiracial, ça n’est évidemment pas une question de racines ou de couleur, c’est partager des références d’entraide, de réactivité parfois violente et des repères basés sur les besoins des milieux populaires. Je sens bien lorsque j’écris cela, d’être en banlieue aujourd’hui, politiquement et socialement, c’est être d’une sorte d’Atlantide.

Je voulais aller au cœur caché de mon territoire, le découvrir et voir comment les ouvriers de l’usine PSA allaient « s’en sortir », mesurer de l’intérieur cette nouvelle épreuve pour la Seine-Saint-Denis ».

LE CONTEXTE : LE SYMBOLE CITROËN AULNAY

Au même titre que les usines Renault de Billancourt ou de Vilvoorde, le site d’Aulnay crée en 1973 a incarné durant de nombreuses années la réussite de l’automobile française et fut un des principaux employeurs de la région parisienne. Citroën y concentre son activité et ferme les multiples usines du bassin parisien.

Le site d’Aulnay a été le théâtre de nombreux con its sociaux. En mai- juin 1982, un premier grand mouvement de grève mené en particulier par les ouvriers immigrés, qui représentaient alors 50% de la main- d’œuvre, vise au respect de la liberté syndicale, des salaires et des conditions de travail. Le syndicat crée par la direction du groupe pour contrer les autres organisations syndicales, la CSL (aujourd’hui appelé SIA) sert alors de nervis à la direction, utilisant par exemple des barres de fer contre les grévistes. Suite à la grève, la CGT s’installe dans l’en- treprise.

En 2004, l’usine établit un record de production de 418 000 véhicules. C’est durant cette période que la plupart des salariés actuels sont en- trés dans l’usine. PSA embauche dans la banlieue parisienne, et c’est ainsi que quarante nationalités se côtoient actuellement dans l’usine.

En 2005 et en 2008, se produisent deux nouveaux con its, dont le souvenir de lutte et de l’organisation mise en place vont jouer un grand rôle dans l’état d’esprit des travailleurs en 2012. Peugeot-Ci- troën, PSA, second groupe européen a vendu 3,6 millions de voitures en 2010. C’était son record historique. En 40 ans, le site a vu sortir de ses lignes de production plus de 8 millions de voitures.

Les forces en présence

Des syndicalistes qui veulent faire bouger des salariés qui pensent que ça ne sert à rien. Pour ces militants, il faut que les travailleurs prennent la parole eux-mêmes et fassent l’expérience des luttes pour se rendre compte de leur véritable force.

Un État qui veut réindustrialiser sans avoir les commandes de son in- dustrie. Le ministère croit en la ré-industrialisation à long terme et dans la moralisation du capitalisme. Les politiques a chent la certi- tude assez étonnante que tout va s’arranger mais sans avancer d’élé- ments pour dire comment ça va s’arranger.

Des industriels qui croient aux indicateurs de rentabilité. L’analyse des di érents documents émanant de l’entreprise montre que leur logique n’est pas industrielle mais nancière.

Des médias qui, pour une bonne part, relaient la stratégie de la direc- tion en donnant l’image d’une lutte violente menée par les salariés.

ENTRETIEN AVEC LA RÉALISATRICE

Qu’est-ce qui a donné l’impulsion à ce film ?

Le tournage a démarré lors de la campagne des élections présidentielles. C’est dans ce contexte que j’ai appris que la CGT d’Aulnay avait dévoilé le plan de fermeture du site de la direction. Il se trouve que je connaissais Jean- Pierre Mercier, négociateur CGT et numéro 2 de lutte ouvrière. En 2007, le syndicat s’était battu pour les salaires. Ce sont des gens combatifs et qui savent négocier au moment où le mouve- ment est le plus fort.

Je voulais suivre en image la CGT de l’usine, ceux qui ne sont pas habituellement les «bons» personnages mais les «têtes dures». Je voulais voir de l’intérieur cette stratégie menée par des gens qui ne renoncent pas à la bagarre. Plus que l’histoire d’une fermeture, c’est un lm gé- nérique sur la manière dont se passe en général une grève.

Comment avez-vous introduit votre caméra et donc votre regard dans cette histoire en mouvement ?

Quand l’usine fonctionnait, je n’avais pas l’autorisation de filmer à l’intérieur. J’ai pu m’y rendre lorsqu’elle était occupée, pendant la grève. J’ai alors suivi toutes les actions et les discussions. On était donc dans un rapport régulier et sur- tout d’égalité car je ne cache pas que je suis là avec ma caméra pour travailler. Je dis ce que je cherche à travers ce lm et les contraintes que je rencontre pour le faire, comme par exemple les problèmes pour faire un cadre. Tout ça, je le partage car on est en train de construire une histoire ensemble. Les ouvriers engagés dans la lutte ne m’ont jamais empêché de lmer, même quand ils s’engueulaient. C’était des rapports très clairs où toutes les choses peuvent se dire et se discuter.

«C’est un vrai film d’aventure, un lm de guerre où chacun avance ses pions »

Y a-t-il des éléments de ce coflit que vous n’avez pas pu tourner ?

Il y a trois forces en présence: les ouvriers, la direction et l’État. J’aurais aimé donner à voir les trois stratégies mais le gouvernement et la direction ne sont pas dans le même rapport à la vérité que les ouvriers. Ils ne peuvent pas montrer ce qu’ils font car il y a de leur part une bonne part de mensonge. J’avais rencontré Arnaud Montebourg a n de pouvoir montrer l’action que menait son cabinet entre la direc- tion de PSA et les ouvriers mais le cabinet n’a nalement pas voulu. Quant à la direction, tout aussi opaque, des cartons expliquent dans le lm sa stratégie. C’est un vrai lm d’aventure, un lm de guerre où chacun avance ses pions.

Du côté des ouvriers, vous aviez à faire à de véritables acteurs.

Je partais avec des gens qui avaient l’expé- rience de nombreux con its sociaux. Il n’y a pas cette déception qu’il peut y avoir dans d’autres types de lutte. Ils savent que ce ne sont pas les «grands hommes» qui vont les sortir d’a aire. Ce qui m’a étonné, c’était leur joie et leur envie d’y aller, et pas uniquement de la part des syndicalistes. Même s’il s’agit d’une fermeture d’usine, quelque chose se passe qui fait que les gens se sentent plus costauds, se sentent en vie. Alors que chez les gars qui hésitaient à y aller ou qui n’y sont pas aller, il y a davantage un désespoir qui n’est pas lié à un manque de conviction mais d’énergie. Et cette énergie, je l’ai vraiment découverte lors de ce tournage.

« il y a 200 personnes et lorsqu’une personne parle, tous les autres l’écoutent »

À quel film ces deux ans de tournage ont-ils finalement donné lieu?

Ce film n’est pas l’histoire d’une lutte mais une façon de se plonger dans ce que l’intelligence ouvrière peut amener de plus beau. J’avais en- vie de faire un lm avec du ressenti et de la découverte à partir de séquences où les gens se parlent. Quand j’ai commencé à assister aux réunions, ce qui m’a assez impressionnée et touchée, c’est la capacité des ouvriers à penser ensemble alors même qu’on considère généra- lement qu’ils appartiennent à un milieu qui ne les place pas en position d’experts.

Lors des comités de grève, il y a 200 personnes et lorsqu’une personne parle, tous les autres l’écoutent. Ils ont cette capacité à prendre la parole, à rester tête haute et, du coup, à en- tendre autrement les arguments des décideurs. Ils arrivent ensemble à construire une pensée alors que face à eux, il y a une sorte d’armée de guerre qui n’est pas intelligente mais qui pos- sède cependant des moyens de communication considérables.

La temporalité propre au film renverse complétement le regard que le traitement de l’actualité donne à ce conflit.

Je voulais montrer les e ets des actions de la direction, des politiques et des médias sur les ouvriers. Il y a comme un passage obligé dans toute lutte sociale : l’accusation de violence faite aux ouvriers de la part de la direction. Les médias montent au créneau là-dessus et ça dé- place l’objet de la lutte car à partir du moment où il y a des sanctions, la lutte doit en obtenir la levée. C’est encore le cas aujourd’hui avec Air France. Tant qu’il y aura cet état de léthargie so- ciale, la mainmise de l’actualité sur le débat de fond va toujours fonctionner.

« les ouvriers de France qui se battent, ce sont eux tout simplement »

Le film est aussi l’occasion de donner une image peu souvent relayée de la classe ouvrière.

Que ces ouvriers soient immigrés, qu’ils soient de deuxième ou de troisième génération, ce n’est jamais cette image-là qu’on donne ni de la Seine-Saint-Denis ni des immigrés. Quand on en parle, on est souvent dans une représenta- tion qui donne l’impression qu’on à faire à des
gens extérieurs : les musulmans, les terroristes ou je ne sais qui encore. Alors qu’avec ce lm, pour une fois, on voit de quoi et de qui on parle, c’est-à-dire la classe ouvrière dans la région parisienne. Celle-ci est composée de citoyens qui ont leur mot à dire, qui ont une intelligence et une capacité à collective à penser. Montrer cette image, ce n’était pas une volonté de dé- part du lm. C’est un état de fait: les ouvriers de France qui se battent, ce sont eux tout sim- plement.

Et leur exemple rejaillit sur le spectateur.

La question de fond est aujourd’hui «qu’est-ce qu’on peut faire?». Or nous sommes dans une ambiance générale où à peu près tout le monde se dit : «il n’y a rien à faire». Je voulais donc que le spectateur soit vraiment plongé au cœur du con it, comme si lui-même était au milieu des ouvriers et qu’il ait à se déterminer lui aus- si sur la stratégie de grève et sur la façon d’y prendre part, qu’il se dise: «qu’est-ce je ferais à leur place?». C’est pourça que la caméra est très proche d’eux et qu’on passe du temps à les écouter discuter et à voir leurs réactions sur leur visage. On peut apprendre et réapprendre qu’on peut lutter ensemble. Ce n’est pas que ça banalise la lutte, ça la rend normale, possible et plaisante.

CHRONOLOGIE DU CONFLIT SOCIAL

Juillet 2011

Les syndicats découvrent le projet à travers un document interne con dentiel que leur a remis un cadre anonyme.
Ce document prévoit un calendrier précis : une diminution progressive de la production en 2012, suivie de l’annonce en 2013 d’un plan social, pour une fermeture programmée courant 2014. La direction certi e qu’il ne s’agit que d’hypothèses abandonnées depuis.

Jusqu’en août 2011

Politique de rachat de ses propres actions par PSA. Novembre 2011 / début du tournage de Comme des lions.
Décembre 2011 / Lettre de tous les syndicats au président Sarkozy. Février 2012 / Première manifestation des salariés ans la ville d’Aulnay.

Jusqu’en mai 2012

Campagne électorale.
Le président Sarkozy reçoit les syndicats et se dit contre la fermeture, mais pour un travail sur la compétitivité, le candidat Hollande promet de recevoir les salariés s’il est élu.

7 mai 2012

Dès le lendemain de l’élection de François Hollande, uneétudecommandée par Éric Besson sur l’avenir de la lière automobile lève le doute : une fermeture est envisagée.
Ce qui amène Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif, à demander le 29 juin à PSA de «faire connaître ses intentions au plus vite». Rien de plus.

12 juillet 2012

La direction de PSA annonce par la voix de Philippe Varin l’arrêt de production de la C3 II pour 2014 (elle serait produite sur le site PSA de Poissy), ce qui signi e l’annonce o cielle de la fermeture de PSA Aulnay. Ce plan spécial prévoit la suppression de 8 000 postes en France, dont la totalité des emplois d’Aulnay. Selon ce projet, la moitié des 3 000 salariés d’Aulnay serait reclassées en interne et l’autre moitié serait reclassée sur le bassin d’emploi autour du site.

Octobre 2012

Les salariés listent leurs revendications et PSA ses propositions. Premières annonces, oues, d’installations de nouvelles entreprises sur le site. Chez Renault, la direction lance l’idée d’une modi cation des salaires, le gouvernement lance les négociations compétiti- vité emploi.

23 octobre 2012

Trois mois après l’annonce, la direction concède la mise en place d’un calendrier de négociation sur le plan social d’entreprise (PSE) qui pour l’instant ne comporte que les mesures minimales légales. Le même jour, le PDG Philippe Varin a obtenu de l’État 7 milliards de garantie bancaire pour la banque de PSA.

27 octobre 2012

L’usine ne tourne plus que sporadiquement.

Novembre 2012 / Négociations entre la direction et les représentants des salariés à la préfecture de Bobigny.
Janvier 2013 / Le plan est entériné au comité d’entreprise.
16 janvier 2013 / Début de la grève. Elle va durer quatre mois.

8 mars 2013

Les salariés en lutte occupent le siège de l’Union des industries et métiers de la métallurgie (l’UIMM).

18 mars 2013

Manifestation des salariés au siège de PSA rue de la Grande Armée.
Le même jour, la direction commence la mise en place du plan social. Elle lance des entretiens individuels et des mutations provisoires qui incitent à reprendre le travail.

27 mars 2013

Envahissement de la direction générale du travail à Paris par les salariés. 28 mars 2013 / Occupation du siège du MEDEF à Paris. Les salariés sont évacués par les CRS dans des fourgonnettes.

Avril 201

Loin des promesses faites par la direction de reclassement de l’ensemble des sala- riés, seule une moitié est e ectivement reprise dans d’autres usines.
1227 salariés se retrouvent alors sans emploi.

21 avril 2013

Au bout d’un mois de bas de fer, la direction accélère les négociations pour mettre n à la grève. Elle accepte la levée de toutes les sanctions et des plaintes pénales. Elle propose en plus pour chaque gréviste un chèque en échange de leur départ dès la n du mois de mai.

31 mai 2013

La direction a obtenu le départ de 180 grévistes sur les 220 qui ont tenu 4 mois. Elle ne redémarrera jamais la production.

30 août 2013

La direction de PSA annonce en comité d’entreprise que l’usine d’Aulnay-sous- Bois, dont la fermeture est programmée en 2014, va cesser d’assembler des C3 n octobre 2013.

25 octobre 2013

La dernière C3 sort des chaînes de montage.
Décembre 2013 / Dernier jour de l’atelier-montage de l’usine PSA d’Aulnay. 31 janvier 2014 / Action à Paris des anciens grévistes.

Avril 2014

Fermeture de l’usine.

9 févrie  r 2015

Quinze mois après avoir dé nitivement stoppé les chaînes de montage d’Aulnay, PSA vient de vendre un premier bout de son immense usine de Seine-Saint-Denis.
La transaction a été signée avec ID Logistics. Cette cession donne le coup d’envoi du démantèle- ment du site.

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